Ces pixels qui comptent : La représentation des groupes marginalisés dans les jeux vidéo

Marie-Lou Dulac
16 min readMar 27, 2023
Marvel’s Spider-Man: Miles Morales (2020)

La diversité et l’inclusion dans les jeux vidéo sont des sujets d’actualité depuis quelques années. La diversification des équipes de production et la prise en charge des problèmes de toxicité dans les communautés de joueur-euses sont devenues des préoccupations de plus en plus pressantes dans l’industrie. Les jeux eux-mêmes sont passés au crible, que cela concerne leurs messages politiques ou les représentations qu’ils véhiculent. Après s’être penchées sur la représentativité des femmes, les entreprises du secteur ont commencé à étendre leur réflexion à d’autres groupes de personnes marginalisées (communautés LGBTQ+, personnes racisées, en situation de handicap…). Cet article donne un aperçu des raisons pour lesquelles les studios devraient inclure des représentations plus diversifiées dans les jeux, et quelques idées sur les manières de le faire.

DE QUOI PARLE-T-ON ?

“Diversité”, “inclusion”, “représentation”… Ces mots ont-ils la même signification ? Qu’implique chacun d’entre eux dans le contexte des jeux ?

La diversité est la variété des profils au sein d’un groupe en termes d’origine géographique, de catégorie sociale, de religion, de culture, de condition physique, d’âge, de genre, d’éducation, de sexualité, d’apparence physique, de condition neurologique…. Elle a trait à une quantité.

Appliquée au contenu des jeux, l’inclusion fait référence à la pluralité des personnages, scénarios et histoires susceptibles d’attirer un public plus large et/ou différent (c’est-à-dire une audience à laquelle on ne pense pas immédiatement). Construire un jeu inclusif consiste également à proposer différentes façons de participer, en fonction du style de jeu, des motivations, des compétences et des capacités des joueur-euses. Contrairement à la diversité, qui décrit une situation, l’inclusion implique une intention.

Qu’en est-il de la représentation ? J’aime beaucoup cette citation de l’acteur Riz Ahmed que je trouve éclairante :

[La diversité] fait référence aux frites, pas au hamburger. Vous voyez ? On dirait que c’est quelque chose de secondaire — à côté de votre projet principal — et que vous allez saupoudrer un peu de diversité par-dessus.

Pour moi, il ne s’agit pas de cela. C’est une question de représentation. […]
Nous voulons tous-tes nous sentir vu-es, entendu-es et valorisé-es, c’est pourquoi je préfère parler de représentation
”.

Alors que la diversité est une question de quantité (“Combien de types de personnes différentes y a-t-il dans un groupe donné ?”), la représentation est une question de qualité (“Ces personnes sont-elles représentées d’une manière qui les valorise ?”). L’inclusion fait référence à l’approche globale (“Comment faire pour que ces personnes se sentent valorisées ?”). En ce sens, la conception d’un jeu inclusif va bien au-delà des questions de représentation. Pour être inclusif, il faut aussi traiter d’accessibilité, de toxicité… En France, on parle aussi de représentativité (un concept moins usité dans le monde anglo-saxon dans le cadre des réflexions sur les médias). La nuance entre représentation et représentativité est subtile, mais elle est éclairante : on peut représenter un groupe sans être représentatif ! La représentation est l’action de représenter ce groupe, tandis que la représentativité indique que la représentation de ce groupe est juste de manière quantitative (adéquation numérique entre le groupe représenté et sa représentation. Ex : on représente 8% de musulman-es dans un groupe car les musulman-es comptent pour 8% de la population française) et/ou qualitative (la représentation reflète authentiquement le groupe représenté dans ses attributs, mœurs, spécificités, etc.).

Les gens aiment se reconnaître dans les produits culturels qu’ils consomment : livres, films, émissions de télévision… et les jeux vidéo. En gardant cela à l’esprit, concentrons-nous sur les attentes des joueur-euses en matière de représentation dans les jeux.

QUE VEULENT LES JOUEUR-EUSES ?

Dans une étude publiée par EA en 2018, 56% des participant-es (sur un échantillon de 2252 personnes interrogées) ont déclaré qu’il était important pour elles/eux que les entreprises de jeux vidéo soient plus inclusives envers des publics diversifiés. C’est particulièrement vrai pour les plus jeunes générations : dans l’étude intitulée “SuperPowering.girls”, parmi les 2431 personnes interrogées, 85% des participantes âgées de 10 à 19 ans et 69% des hommes de la même tranche d’âge ont déclaré qu’ils/elles voulaient voir plus d’héroïnes dans les médias.

Les personnes qui appartiennent à des groupes marginalisés expriment davantage le besoin d’être représentées. Dans le même sondage, 65% des filles âgées de 10 à 19 ans disent qu’il n’y a pas assez de personnages de leur genre auxquelles elles peuvent s’identifier, contre 40% des garçons. Il est intéressant de noter que les garçons accordent moins d’importance au fait d’incarner un personnage masculin en grandissant, alors que les filles souhaitent davantage incarner un personnage féminin en grandissant. Il est possible que les filles prennent conscience du manque de représentations féminines et qu’elles cherchent plus de personnages auxquels s’identifier.

Le public n’aspire pas seulement à une plus grande représentation dans le domaine du divertissement. Il en va de même pour les réseaux sociaux : les personnes racisées ont tendance à utiliser plus de “racemojis” que les Blancs pour se représenter.

Il n’est pas surprenant que les gens [blancs] n’optent pas pour une teinte plus claire, même si elle est plus proche de leur carnation, car ils sont de toute façon représentés par défaut”, selon Tyler Schnoebelen, titulaire d’un doctorat en linguistique.

L’emoji jaune est l’emoji par défaut utilisé par les utilisateur-rices blanc-hes dans leurs conversations virtuelles. Dans les jeux, le personnage “par défaut” est le célèbre homme blanc aux cheveux bruns. Une certaine représentation n’est pas problématique en soi : c’est sa répétition qui l’est. La répétition devient homogénéité, et l’homogénéité finit par agir comme une norme. Dans ce cas de figure, les autres types de représentations deviennent des anomalies. C’est pour cette raison que les personnes issues des groupes dominants expriment moins le besoin d’être représentées : elles le sont déjà partout, “par défaut”. Cela explique aussi pourquoi les représentations diversifiées provoquent de fortes réactions au sein des groupes marginalisés : elles cristallisent les attentes de tout un groupe social, nécessairement hétérogène. Ce phénomène très bien analysé dans cet article de Riley MacLeod à propos de Lev, le personnage transgenre représenté dans The Last of Us 2 :

Le fait qu’il y ait si peu de personnages transmasculins dans les jeux signifie que Lev a un poids immense, qui s’étend à toutes les personnes qui l’ont créé et à celleux d’entre nous qui essaient d’écrire sur lui. Sa caractérisation et sa représentation prennent une importance démesurée en raison de leur rareté [des personnages transmasculins dans les jeux].”

Les joueur-euses marginalisé-es désirent être représenté-es pour se sentir les bienvenu-es dans un média qui a oublié de les inclure pendant des décennies. Les questions liées à la représentation ne se limitent pas à l’écran : les pixels ont un impact sur nos vies.

DES PIXELS À LA VRAIE VIE

Les représentations symboliques du monde sont acquises par l’exposition à des modèles, réels ou fictifs. Les individus s’appuient sur ces structures de connaissances acquises pour percevoir et interagir avec autrui. Par conséquent, l’exposition répétée à des images stéréotypées déclenche l’accès à des pensées, des préférences et des évaluations, ce qui permet en fin de compte de prédire un comportement discriminatoire.

La recherche a montré que l’exposition à des images de jeux vidéo montrant des femmes sexualisées augmentait la tolérance des participant-es au harcèlement sexuel. Dans une autre étude, les femmes à qui on avait attribué des avatars hautement sexualisés intériorisaient les aspects sexualisés de l’apparence de leur avatar, ce qui conduisait à une plus grande auto-objectivation.

Ces résultats concernant l’influence des images fictives sur le sexisme sont également valables pour les stéréotypes racistes. Une étude a montré que le fait de jouer à un jeu vidéo violent en incarnant un avatar noir augmentait les attitudes implicites des participant-es blanc-hes selon lesquelles les Noir-es sont violent-es. Dans une autre analyse, des étudiant-es ont identifié plus rapidement des armes après avoir regardé un jeu vidéo avec des protagonistes noir-es qu’après avoir regardé une séquence mettant en scène des personnages blancs.

Si les conclusions de ces travaux universitaires ne sont guère réjouissantes, elles ont le mérite de montrer que les images auxquelles nous sommes exposé-es influencent notre façon de penser et de nous comporter.

Pour autant, l’exposition à des images stéréotypées ne semble affecter que les attitudes à court terme. Une étude a suivi des joueur-euses adolescent-es pendant 3 ans et a conclu que leur attitude à l’égard du sexisme était restée stable au fil des ans.

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces résultats :

- Des facteurs tels que l’expérience personnelle, l’éducation, l’influence de la famille et des pairs influencent le développement d’attitudes discriminatoires plus fortement que n’importe quel contenu médiatique fictionnel,
- Les images stéréotypées véhiculées par les médias ne génèrent pas nécessairement le sexisme ou le racisme, mais une exposition répétée alimente et renforce les attitudes négatives,
- L’exposition à des images stéréotypées dans le jeu pourrait avoir un effet direct sur le comportement des joueur-euses dans les interactions sociales. Par exemple, elle pourrait favoriser et accroître la toxicité.

Même si les images stéréotypées dans les jeux vidéo n’affectent que les attitudes à court terme, cela ne signifie pas qu’elles sont inoffensives, surtout dans une société où les images sont omniprésentes. La durée de l’influence de l’exposition n’a pas d’importance, puisque la répétition la transforme en une influence à long terme.

Sur une note plus positive, les images de fiction fournissent également des rôles-modèles, en particulier pour les jeunes publics. Les rôles-modèles ont le pouvoir d’aider à légitimer les réalités possibles. Une enquête a révélé que la participation des filles au tir à l’arc a doublé en 2012 après la sortie de Hunger Games et de Rebelle, deux films mettant en scène une archère. Parmi les archères fictives qui ont le plus influencé les participantes, Katniss Everdeen (Hunger Games), la princesse Merida (Rebelle) et Susan Pevensie (Le Monde de Narnia) ont été citées.

Plus récemment, j’ai lu ce témoignage rapporté par Neil Druckmann, le réalisateur de The Last of Us :

Ashley [Johnson] m’a raconté l’histoire d’une personne qui est venue la voir pour lui dire que The Last Of Us lui avait donné le courage de faire son coming out à sa famille.

C’est incroyable qu’une histoire ait pu faire ça. Ces histoires sont une source d’inspiration pour dire : “Regardez, lorsque nous racontons des histoires variées, elles peuvent avoir un réel impact et un effet sur les gens”.”

Quelle anecdote inspirante ! Elle démontre l’incroyable force des jeux vidéo. Ceux-ci ont le potentiel “d’empowerer” les gens, de les aider à croire en eux-mêmes et à mener une vie plus épanouissante. En ce qui concerne les personnes LGBTQ+, les jeux vidéo sont un formidable outil d’expression et un terrain d’expérimentation pour leur identité. Une grande partie des joueur-euses transgenres et queers considèrent les systèmes de création d’avatars comme un moyen de découverte et d’expression de soi. Le jeu est en effet un moyen utile d’exprimer son identité de genre dans un environnement sûr, non menaçant, non aliénant, non stigmatisant et non critique.

Par exemple, certaines personnes peuvent utiliser le jeu pour faire leur coming out auprès d’autres personnes, en commençant par le faire dans une communauté en ligne, qui est perçue comme un environnement sûr, puis en le faisant progressivement dans la vie réelle. L’article écrit par Isabelle Davis, qui raconte l’histoire d’un-e joueur-euse de Stardew Valley, illustre ce point. Je vous invite également à lire mon article “Ludophoria — Les moments de joie des joueur-euses LGBTQ+”, publié dans la revue Inventaires.

Après avoir expliqué pourquoi il est important de représenter les personnes marginalisées, examinons les leviers que les équipes de développement peuvent utiliser pour rendre leurs jeux plus inclusifs.

AVATARS VS PERSONNAGES

Pour les besoins de la démonstration, je ferai une distinction (arbitraire) entre “avatars” et “personnages”.

D’un côté, il y a les avatars. Les avatars sont des coquilles vides qui permettent aux joueur-euses de :

- De jouer un rôle dans le jeu (ex : pouvoir soigner les autres joueur-euses),
- Correspondre à la fantaisie, au ton ou au contexte du jeu (ex : les avatars dans les simulateurs de rencontres sont généralement plus attirants que dans d’autres types de jeux),
- Nouer des relations sociales dans les jeux,
- Projeter leur identité dans un environnement virtuel,
- Explorer leur propre identité,
- Jouer avec différentes formes d’identité (ex : changer de genre pour cacher son vrai genre).

La création et la personnalisation d’avatars favorisent l’expression des joueur-euses. Les avatars sont souvent présents dans les RPG (ex : Fallout 4) et les MMO (ex : WOW). Dans les jeux multijoueurs, ils permettent aux joueur-euses de sortir du lot et de se différencier les uns des autres.

Ensuite, il y a les personnages prédéfinis, qui peuvent être uniques (ex : Horizon Zero Dawn) ou pluriels (ex : Overwatch). Un personnage prédéfini a son propre nom, son identité, sa personnalité et son histoire.

Dans un contexte de représentation des groupes marginalisés, les deux choix n’ont pas les mêmes implications.

Comme l’écrit Adrienne Shaw dans l’essai Gaming at the Edge :

Le pluralisme ne donne aux joueur-euses la possibilité de voir les groupes marginalisés représentés que s’iels le souhaitent, et ne peut donc pas remplir les objectifs socialement progressistes de la représentation dans les médias. La diversité dans les jeux vidéo nécessite que tous les publics soient confrontés à différents types de personnages.

Le pluralisme est le choix donné aux joueur-euses d’incarner des personnages issus de groupes marginalisés (en termes de genre, de sexualité, d’ethnicité…). La diversité favorise la différence en la normalisant.

Le pluralisme agit comme les filtres sur les réseaux sociaux ; il enferme les joueur-euses dans leur vision du monde au détriment des alternatives, alors que la diversité leur permet de faire l’expérience de l’altérité. Certain-es joueur-euses ont réagi négativement après avoir fait l’expérience de l’attribution aléatoire d’avatars dans Rust. On peut être un homme blanc et être “forcé” d’incarner un avatar féminin ou noir. L’expérience de l’altérité est loin d’être évidente pour certaines catégories de joueur-euses, notamment pour les personnes qui appartiennent à des groupes dominants. Comme elles sont habituées à être représentées, certaines d’entre elles sont mal à l’aise lorsqu’elles doivent incarner un personnage qui ne leur ressemble pas.

D’un côté, la création et la personnalisation d’avatars favorisent le pluralisme en offrant aux joueur-euses issu-es de groupes marginalisés la possibilité de s’exprimer et de se représenter. C’est comme si on leur tendait un miroir pour qu’iels puissent voir leur propre reflet. Iels peuvent s’identifier à leur avatar (“to identify as” en anglais). C’est ce que j’appelle “l’expression joueur-euse”.

D’autre part, les personnages prédéfinis favorisent la diversité en confrontant l’ensemble du public à des types de personnages sous-représentés. Le jeu donne à tou-tes les joueur-euses une loupe qui leur montre des individus (avec une identité unique, une histoire…) qu’iels n’ont pas choisis. Les joueur-euses peuvent se relier émotionnellement à leurs personnages (“to identify with” en anglais). C’est le concept de “représentations significatives”.

Dans un cas, la responsabilité de la représentation est laissée aux joueur-euses. Dans l’autre, les développeur-euses s’en chargent directement.

Résumé des différences entre avatar et personnage

COMMENT RENDRE SON JEU PLUS INCLUSIF

Expression joueur-euse

Selon plusieurs études sur la création d’avatars, le genre et l’origine ethnique sont les facteurs qui influencent le plus l’identification. Comme il s’agit de composantes clés de l’identité d’un individu, ce sont les caractéristiques les plus importantes à inclure dans un outil de personnalisation (ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas représenter le handicap, l’âge ou les caractéristiques physiques comme les cicatrices, le vitiligo…).

Voici les caractéristiques qui semblent très importantes pour les joueur-euses :
- Cheveux,
- Gamme de couleurs de peau,
- Variété de types de corps,
- Options non restrictives.

Le style et la couleur des cheveux sont les caractéristiques les plus importantes pour les joueur-euses. Pourquoi ?

Tout d’abord, les cheveux permettent une forme d’expression : c’est une partie malléable du corps, utilisée dans la vie réelle pour contrôler et construire l’apparence d’une personne. Des coiffures comme les dreadlocks peuvent être utilisées comme marqueurs d’identité et exprimer l’appartenance à un groupe social :

Comme l’analyse Jeffrey Rousseau dans son article :

Les cheveux sont une forme d’expression majeure, pour tout le monde et pas seulement pour les personnes de couleur. En tant que personne noire, je dirais qu’ils sont plus importants pour les personnes de couleur. C’est de l’art, un héritage culturel et un indice visuel — pour dire “oui, je suis là” — un tout en un. Donc, en ce qui concerne les jeux, oui, les cheveux sont importants”.

Les cheveux sont également l’élément le plus visible dans les jeux. Ils permettent au personnage de se distinguer lorsque son corps est couvert par un équipement (identique sur tout le monde), et parce que les autres traits du visage peuvent être difficiles à distinguer.

L’industrie de la beauté est une grande source d’inspiration pour améliorer la création et la personnalisation des avatars dans les jeux vidéo. Par exemple, les développeur-euses peuvent s’inspirer des différents types de cheveux classés par Andre Walker pour concevoir des coiffures. Un problème très fréquent est la représentation des coiffures afro. Outre le manque de choix dans les outils de personnalisation, certaines coiffures noires sont représentées comme une masse solide, uniforme (et irréaliste). L’outil de customisation de Monster Hunter World est souvent cité comme l’un des meilleurs pour son rendu des coiffures et de la texture des cheveux afro.

Les cosmétiques sont également précieux pour saisir la variété des couleurs de peau (voir la ligne Fenty de Rihanna). Il est essentiel de proposer davantage de teintes de peau pour permettre aux joueur-euses de s’exprimer de manière authentique, sans faire de compromis.

La quantité ne suffit pas, la qualité compte aussi. De nombreux articles ont souligné que les jeux ne parviennent pas toujours à éclairer correctement les peaux foncées. Dans Skyrim, la peau des personnages noirs a la même teinte quel que soit l’environnement. Le jeu des ombres sur la peau et les vêtements ne varie pas en fonction du lieu. Dans Black Desert, on ne voit pas vraiment les visages des personnages noirs, car l’éclairage est principalement destiné à mettre en valeur les peaux plus pâles.

Dans de nombreux jeux, comme dans The Surge 2, les personnages noirs ont la peau claire. Cela permet de surmonter les problèmes d’éclairage, mais cette tendance contribue à perpétuer le colorisme.

Cette conversation ne se limite pas aux jeux vidéo. La couverture de Vogue représentant Simone Biles a suscité une controverse en raison du mauvais éclairage de la peau de l’athlète, qui a donné lieu à des images ternes et peu flatteuses. À l’inverse, Moonlight et Insecure ont été salués pour leur remarquable travail sur l’éclairage.

Comme indiqué plus haut, la pluralité des types de corps, même si elle n’est pas très exploitée, est également essentielle pour que les joueur-euses puissent exprimer leur identité. Les personnes transgenres et queer interrogées dans le cadre d’une enquête devaient répondre à la question suivante : “Que faudrait-il changer pour que les outils de customisation d’avatars vous représentent mieux ?”

La réponse la plus fréquente a été : “Une plus grande variété de types de corps”. Il convient de noter que cette variété est plus souvent observée chez les personnages masculins.

De nombreuses équipes de développement cherchent à produire des personnages “en bonne santé” avec des corps “athlétiques” (en particulier quand l’univers du jeu implique que le personnage soit en bonne forme physique, comme dans les contextes militaires). Mais les corps athlétiques, qu’ils soient masculins ou féminins, sont loin d’être standardisés.

Outre la multiplicité des types de corps, les joueur-euses LGBTQ+ de l’enquête ont souligné que la suppression des étiquettes de genre sur les types de corps était nécessaire à l’inclusion.

À la question “Qu’est-ce qui fait que la customisation des personnages dans ces jeux est particulièrement bonne ?”, iels ont répondu qu’iels appréciaient les jeux qui ne limitent pas les options de personnalisation en fonction du genre de l’avatar.

Par exemple, les joueur-euses des Sims 4 peuvent définir l’apparence physique, les vêtements et les fonctions corporelles de leur personnage, quel que soit son genre. Le déblocage de ces options profiterait en fait à tou-tes les joueur-euses en leur donnant plus de liberté et de flexibilité.

Ces différents points ne sont pas exhaustifs, ce sont les éléments les plus saillants qui ressortent des commentaires des joueur-euses dans une sélection d’études et d’articles. Le plus petit dénominateur commun, si je puis dire. D’autres options de personnalisation devraient être explorées (choix du pronom et du prénom, ajout de prothèses, choix de la taille de l’avatar…).

Représentations significatives

La motivation des joueur-euses dépend fortement du lien émotionnel qu’iels entretiennent avec le jeu et de la signification de ce lien. Dans cette optique, la narration a un rôle à jouer pour créer ce lien.

À titre d’exemple, un article a montré que les participant-es qui jouaient à un jeu de tir à la première personne incluant une narration s’identifiaient davantage à leur avatar que les participant-es qui jouaient à une version sans narration.

Il convient de rappeler que la représentation ne se limite pas à l’apparence d’un personnage. Les antécédents, les attitudes, les croyances et les expériences d’un personnage sont importants. En ce sens, la diversité peut être “invisible”.

Les joueurs ne s’intéressent pas seulement à l’apparence des personnages. Concevoir un jeu avec une “checklist de la diversité” peut aboutir à des personnages superficiels, qui ne peuvent produire qu’une identification en surface. Il ne s’agit là que d’une mesure symbolique (“tokenism” en anglais).

Les joueur-euses s’intéressent également aux actions des personnages. Même si le genre et l’origine ethnique sont des éléments clés, l’identité de chaque personne est bien plus complexe et plurielle, d’où l’importance de créer de bons personnages avant toute chose.

Non seulement nous pouvons nous identifier à des personnages qui ne nous ressemblent pas (parce qu’ils vivent une situation similaire à la nôtre, ou parce que leur parcours reflète des luttes humaines universelles…), mais l’attachement à un personnage va bien au-delà de l’identification. Trevor est l’un des personnages préférés des fans dans la série GTA, et je ne suis pas certaine que les joueur-euses l’aiment parce qu’iels s’identifient à lui. Le personnage est suffisamment fort, profond et complexe pour que le public ait envie de savoir ce qui va lui arriver.

La narration est essentielle pour normaliser la représentation des personnes marginalisées, et il y a plus d’une façon de l’évaluer : combien de personnages issus de groupes marginalisés (personnage principal + PNJ) y a-t-il dans le jeu ? Ces personnages sont-ils des personnages principaux ? Sont-ils multidimensionnels ? La diversité présentée est-elle intersectionnelle ? Le personnage est-il un trope narratif ? Si oui, est-il limité à cela ? Le trope renforce-t-il les stéréotypes à l’égard d’un groupe social ? etc.

Tout cela peut être analysé quantitativement et qualitativement. Il va sans dire que la diversité des profils qui travaillent dans l’industrie du jeu est fondamentale pour atteindre de bons niveaux de représentation. Les jeux reflètent les valeurs, les perspectives et les expériences des personnes qui les ont créés. La représentation dans le contenu et une main-d’œuvre diversifiée sont les deux faces d’une même médaille.

DERNIERS MOTS

Un seul jeu ne peut pas représenter tout le monde, c’est pourquoi les décisions design doivent découler de la vision créative du jeu en question. Après tout, un jeu vidéo est une œuvre de fiction, nécessairement subjective. Les questions de représentation ne doivent pas être considérées comme des risques à prévenir, mais plutôt comme des opportunités créatives qui permettent de représenter de nouveaux personnages et de raconter de nouvelles histoires. Le plus important est de conserver une cohérence globale entre les différents éléments de jeu.

Aborder la question de la diversité et de l’inclusion comme une checklist conduit souvent à des représentations erronées ou maladroites. Les joueur-euses (qu’iels soient concerné-es, favorables ou hostiles à la représentation des groupes marginalisés) peuvent avoir de fortes réactions pour s’opposer au tokénisme.

La constitution d’équipes plus diversifiées, capables d’apporter de nouvelles perspectives, multipliera les possibilités pour les joueur-euses d’endosser des rôles différents, faisant du jeu vidéo l’outil d’empathie le plus puissant que l’humanité ait jamais créé.

Sur le même thème, je vous invite à lire mon article “Ludophoria — Les moments de joie des joueur-euses LGBTQ+” publié dans la revue Inventaire.

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Marie-Lou Dulac

Diversity & Inclusion expert in the media and entertainment industry